Vademecum « Choc des savoirs » : la recette du Ministère, les formations fast-food et le lien école-collège renforcé

Dès la rentrée 2024, l’organisation du collège, notamment des classes de 6e et 5e, sera chamboulée. Les groupes de niveau, mesure phare du choc des savoirs annoncée par Gabriel Attal alors ministre de l’Éducation nationale, transformés en groupes de besoin sous Nicole Belloubet seront mis en place malgré la très forte protestation d’une majorité des personnels (enseignants, chefs d’établissement…) et des parents. Sur le terrain, dès la semaine prochaine, les professeurs de mathématiques et de français participent à des « formations », très descendantes, et jeudi 16 mai le ministère publiait un Vademecum, « Mettre en place les groupes de besoins ».

Le vademecum du Ministère ou la recette des groupes de niveaux

« Pour répondre plus efficacement à l’hétérogénéité de niveau des élèves, une nouvelle organisation des enseignements de français et de mathématiques est mise en place en 6e et en 5e à compter de la rentrée 2024 », indique le Vademecum en préambule.

Ainsi, les enseignements de français et de mathématiques au collège sont menés en groupes, réunissant les élèves de plusieurs classes en fonction des besoins identifiés par leurs professeurs, avec la possibilité de regroupements en classe entière sur une durée cumulée de une à dix semaines par année scolaire afin de préserver le « groupe classe ». Ce Vademecum se veut être un outil qui « propose des outils et conseils pratiques à l’appui de la mise en place de cette organisation ». Un outil rédigé par la DGESCO, en lien avec l’inspection générale et des professionnels de terrain.

Organisé en deux parties, le Vademecum propose dans la première des outils pour « Organiser les enseignements de français et de mathématiques en groupe en fonction des besoins des élèves ». « La même ambition est visée pour l’ensemble des élèves », rappelle la DGESCO – comme si l’institution ressentait le besoin d’affirmer – encore – qu’il ne s’agissait pas là de trier les élèves comme le lui reprochent les opposants à cette réforme. « Les programmes de français et de mathématiques sont identiques pour tous les élèves, avec les mêmes attendus, quels que soient leurs groupes. Seules les modalités et les démarches d’apprentissage diffèrent et s’adaptent aux besoins des élèves. Il s’agit ainsi de profiter d’une plus grande homogénéité des groupes pour amener chacun au maximum de ses potentialités et de son excellence ».

Pour justifier ce choix d’organisation, Gabriel Attal, et la rue de Grenelle, dans ce document, convoquent la recherche. Mais pas toute la recherche, pas celle qui donne à voir les effets nocifs de la mise en place de groupes de niveau. Si l’institution reconnaît les méfaits de la mise en place des classes de niveau, elle s’appuie sur des études « peu nombreuses » sur Within class grouping, les groupes de niveau à l’intérieur des classes qui sont « encourageantes ».

Organiser les groupes : le Ministère place la responsabilité sur les chefs d’établissement

C’est au chef d’établissement, en concertation avec les professeurs, que revient la responsabilité de l’organisation des groupes. Le nombre de groupes et le nombre d’élèves par groupe dépendent « des besoins des élèves, des effectifs des collèges, du nombre d’élèves à besoin ou encore du contexte de l’établissement ».

Si aucune limite d’effectif n’est prescrite, le nombre de 15 élèves en difficulté est un repère « mais pas une norme ».

« Les moyens déployés tiennent d’ailleurs compte des spécificités des collèges et doivent permettre de répondre aux besoins des élèves identifiés par les équipes », assure le ministère. Pourtant, les remontées des établissements ne semblent pas valider cette affirmation…

Trois exemples d’organisation sont proposés. Il est vivement conseillé d’aligner les horaires de français et de mathématiques pour les classes dont les élèves seront brassés dans les groupes de besoin. S’il y a six sections de 6e, alors les trois premières auront, de préférence, cours de français et de mathématiques à la même heure.

Des emplois du temps contraints

« Le travail en équipe est essentiel, de la répartition de la DHG à la constitution des emplois du temps en passant par la répartition des services », indique la Dgesco qui liste les contraintes à anticiper.

« Pour limiter les difficultés, éviter autant que possible de placer sur le même alignement plusieurs collègues avec de fortes contraintes d’emplois du temps (stagiaires, BMP en service partagé…). Anticiper autant que possible les besoins en bassin ou en réseau d’établissements ».

« On peut détacher un groupe d’un alignement, à condition d’avoir dégagé les marges de manœuvre ou des créneaux libres dans l’EDT (limiter le cumul d’options, mettre en barrette options et dispositifs…) » ajoute le ministère.

« Désaligner un groupe avec la mise en miroir d’autres matières (Histoire, ou LV ou sciences par exemple) reste toujours possible ».

Des groupes flexibles avec un pilotage du chef d’établissement

« Afin de garantir la cohérence des progressions pédagogiques des différents groupes, les élèves peuvent être regroupés conformément à leur classe de référence jusqu’à dix semaines », confirme le Vademecum. « Cette disposition permet d’alterner, toujours en référence aux programmes, les temps en groupes de besoins qui ciblent des connaissances et des compétences précises et des temps en classe entière qui permettent tout à la fois de garantir un temps pour asseoir un socle commun de connaissances sur les objets d’étude travaillés et de faire le point sur les compétences acquises par les élèves ».

Pour mettre en place cette organisation, « le chef d’établissement mène un dialogue dans le cadre du conseil pédagogique et arrête les périodes les plus adaptées selon la visée et les objectifs pédagogiques concertés en équipe ». L’organisation doit être présentée pour information au conseil d’administration, rappelle-t-il.

Et les auteurs du Vademecum insistent, comme s’ils voulaient se défendre de l’accusation de tri social, « ces groupes ne doivent pas être fixes sur l’année, l’organisation retenue doit à la fois permettre une certaine stabilité en offrant un temps d’apprentissage suffisant et se prémunir de tout risque d’assignation des élèves ».

La composition des groupes est réévaluée en cours d’année, « afin de tenir compte de la progression et de la diversité des besoins des élèves », notamment lors des conseils de classe, « lieu d’échanges privilégié pour faire un point sur la situation de chaque élève ».

Constitution des groupes : des réunions chefs d’établissement – directeurs d’école – IEN

Pour constituer ces groupes, il est demandé d’anticiper la rentrée, particulièrement celle des élèves de 6e. « À réception des prévisions d’effectifs, les chefs d’établissement réunissent les directeurs d’école en lien avec les IEN de circonscription en conseil de cycle 3 pour étudier la répartition potentielle des élèves dans les groupes, sur la base des évaluations et appréciations des professeurs des écoles intégrées dans le livret scolaire de l’élève ».

Quid des élèves des dispositifs ULIS ?

« Concernant les élèves à besoins éducatifs particuliers, une vigilance particulière est nécessaire pour organiser leur répartition en fonction, certes des évaluations, mais aussi de leur profil et de leurs appétences », précise le Vademecum.

Familles et élèves doivent être informés « très explicitement » sur l’organisation en groupe des enseignements de français et de mathématiques. « L’enjeu pour eux est que chaque élève maîtrise les savoirs et les compétences indispensables à une scolarité réussie au collège. Très concrètement, il convient de leur expliquer que les groupes permettront à chacun de bénéficier du suivi nécessaire à sa réussite ».

On peut facilement en déduire que le groupe des élèves les plus faibles accueillera aussi les élèves du dispositif ULIS.

Enseigner dans les groupes de niveau : vers la fin de la liberté pédagogique

La deuxième partie du document est consacrée à l’enseignement en groupes de besoin. « La différenciation pédagogique ne signifie en aucune manière la différenciation des objectifs pédagogiques qui signifierait un creusement des inégalités scolaires », se justifie – encore – la DGESCO qui préconise de choisir des outils communs pour les élèves (cahier, classeur, usage pédagogique de ce matériel…) et d’harmoniser programmations et progressions.

« Il s’agit, non d’établir une progression en tout point identique s’imposant à tous les professeurs de français d’un même niveau d’enseignement, mais bien de consacrer l’expertise collective de l’équipe disciplinaire à penser les objets d’apprentissage et situations de travail, leur articulation dans le temps, les choix propres à favoriser la réussite des élèves dans toute leur diversité ».

Et si certains accusent cette nouvelle organisation d’entraver la liberté pédagogique, le ministère estime lui que c’est « pleinement compatible avec l’exercice de la liberté pédagogique des professeurs pour concevoir les situations d’apprentissage précises mises en œuvre dans les séquences ».

Le Vademecum propose aussi des pistes pour adapter les démarches aux besoins spécifiques de chaque groupe, pour articuler temps d’apprentissage en groupe et le temps d’apprentissages en groupe classe et pour évaluer.

Le Vademecum décrit une usine à gaz avec une pénurie d’enseignants et des restrictions budgétaires strictes

Pas besoin d’être un grand syndicaliste FO, pour comprendre très vite que cette réforme ne vise qu’à mettre à genou le collège et à réduire les coûts de l’École publique. Comme le souligne Bruno MAGLIULO, ancien IA et spécialiste de l’orientation, après avoir mis en place ParcourSup pour trier les élèves, le gouvernement s’attaque à un « monument historique : le collège unique ». ParcourSup et Choc des savoirs : la logique est la même !

Comme chacun peut s’en douter, une telle réforme n’a de chance d’être bien appliquée que si les moyens nécessaires sont octroyés aux établissements scolaires concernés. Les autorités ministérielles et académiques ne cessent d’affirmer que ce sera le cas. La majorité des responsables de syndicats et associations d’enseignants, personnels de direction, parents d’élèves … y croient d’autant moins que chacun sait désormais que la tendance est aux restrictions budgétaires, et que l’Éducation Nationale n’échappe pas à l’exigence nationale de restreindre la dépense publique (il faut économiser 700 millions d’euros pour ce secteur!).

« Qui peut croire que le Ministère de l’Éducation Nationale va nous déléguer les moyens en ressources humaines et financiers que cette réforme exige, alors que dans le même temps, il nous est demandé de nous préparer à nous serrer la ceinture, donc d’accepter de voir le budget de l’Éducation Nationale baisser dès 2024, dans le cadre du plan national d’économies, et ce sur plusieurs années ? En réalité, nous avons bien compris que si la réforme du collège se met en place, ce sera en grande partie en demandant aux équipes de chaque établissement de se débrouiller en plus ou moins grande partie avec les moyens préexistants », nous déclare le Principal d’un collège qui souhaite que son anonymat soit protégé.

L’appel aux vacataires, retraités et PE ne suffira pas 

D’après la Direction des ressources humaines du Ministère de l’Éducation Nationale, la seule mise en place des « groupes de besoin » aux niveaux sixième et cinquième nécessiterait dès la rentrée 2024 la création de 2330 postes supplémentaires de professeurs de mathématiques et lettres, auxquels devront s’ajouter autant de plus à la rentrée 2025 pour pouvoir étendre ce dispositif pédagogique aux classes de quatrième et troisième.

Or, ces deux disciplines sont d’ores et déjà fortement déficitaires, nombre de postes offerts aux concours nationaux de recrutement n’étant pas pourvus faute d’un nombre suffisant de candidatures, obligeant à des recrutements compensatoires de professeurs vacataires, nettement moins bien formés. Comment dès lors croire que l’on va pouvoir répondre de manière satisfaisante à de tels besoins ?

Le Ministère a beau répondre qu’il devrait être possible d’y parvenir en recrutant des professeurs vacataires, en utilisant  le vivier des professeurs de mathématiques et lettres partis ou se préparant à partir à la retraite dont une partie pourrait accepter de prolonger leur activité à temps complet ou partiel, en proposant à certains professeurs des écoles d’apporter leur contribution en contrepartie d’une rémunération attractive, en invitant celles et ceux qui sont en activité à augmenter le nombre de leurs heures supplémentaires, en organisant des « sessions spéciales » des CAPES de mathématiques et lettres modernes pour augmenter le nombre des recrutés dans ces deux disciplines… Ce ne sont là que des hypothèses hautement incertaines, qui, au mieux, ne permettront que de satisfaire une partie des besoins.

Les moyens sont insuffisants

Quant aux moyens financiers que tout cela exige, le Ministère a annoncé qu’une importante partie des moyens proviendront du passage de 26 à 25 heures par semaine du temps de formation hebdomadaire en collège. C’est sur la dépouille de la Technologie que le Ministère bâtit sa réforme.

Pour la rentrée 2024, cette « vingt-sixième heure » devrait permettre de financer la création de 1500 postes nouveaux de professeurs de mathématiques et lettres. On est donc loin des 2330 annoncés comme étant nécessaires, auxquels viendront s’ajouter un besoin supplémentaire de 2330 postes supplémentaires qu’il faudra créer à la rentrée 2025.

N’hésitez pas à nous contacter pour vous aider à organiser une HIS dans votre bahut et pour faire connaître vos motions.